Les exemples de calage par rondelles sont nombreux : axes de boîtes de vitesses, nez de pont, différentiels, demi arbres, vilebrequins, arbres à cames, etc. Grossièrement, on en trouve dès que l'on a affaire à des roulements coniques dont la bague extérieure est fixe.
Dans certains cas, la détermination de l'épaisseur se fait par mesure directe du jeu. Dans d'autres cas, on amène des pièces dans une certaine position relative : réglage de distance conique. Ou encore, par essais successifs, ou par mesure d'un couple résistant à la mise en rotation : réglage "à la ficelle et au peson".
On est souvent confronté à deux problèmes :
Il est parfois possible de se procurer des rondelles : fabrication à l'unité, rondelles dites pelables (constituées d'un millefeuille que l'on épluche pour l'amener progressivement à l'épaisseur voulue).
Des rondelles de calage standard ne sont pas disponibles dans les commerces de fournitures industrielles, alors que les roulements le sont.
Exemple : la boîte de vitesses Rover LT 77.
Roulements AV
Cales de réglage
Pour mesurer l'épaisseur et le parallélisme des rondelles obtenues, le plus simple est de disposer d'un comparateur et d'une surface parfaitement plane. Le comparateur est mis à zéro sur ce plan de référence, puis la rondelle est placée sous le toucheau pour lire l'épaisseur. Mesurer au palmer ou au pied à coulisse en différents points est beaucoup moins pratique tout en semblant moins fiable.
Comme plan de référence, on peut utiliser :
Mesure d'épaisseur sur le plateau d'une perceuse
Mesure d'épaisseur sur le chariot porte outils d'un tour
Les mesures ont été faites en huit points, toujours les mêmes, grâce à un repérage et un marquage permettant d'identifier les faces et les points de mesure.
Rondelle brute
La rondelle à usiner sera collée sur un plateau lui-même serré dans les mors du tour (à gauche sur la photo ci-dessous). On pourrait aussi utiliser un plateau venant remplacer le mandrin, mais c'est bien plus long à mettre en oeuvre. Pour presser la rondelle lors du collage, c'est un grosse rondelle qui est utilisée (à droite sur la photo ci-dessous). Le guidage se fait grâce au foret ayant servi à percer les deux pièces.
La pièce située à gauche sur la photo est le plateau tournant, et celle de droite est un presseur permettant de transférer la rondelle à préparer sur le plateau.
Accessoires d'usinage
Il faut aussi pouvoir mesurer en cours d'usinage. Un support de comparateur permettant de fixer ce dernier à la tourelle porte-outils. Une tôle d'acier de 5 à 10 mm découpée (à dessiner en fonction du tour), un axe pouvant recevoir la bride de fixation du comparateur, et le tour est joué.
Support de comparateur
Le comparateur sur son support
L'ensemble en place, avant usinage
(les repères doivent être recopiés sur le plateau
et la tranche de la rondelle )
Trois possibilités :
Dans le premier cas, on peut passer directement à l'étape suivante. Dans le deuxième, dresser ll'extrémité avant chaque tronçonnage fournit la surface nécessaire au collage sur le plateau. On peut donc également passer à la suite.
Dans le troisième cas, il est délicat de vouloir passer l'outil à tronçonner pour obtenir une tranche (dureté du métal, outil désagréable à utiliser). Les rondelles brutes sont alors obtenues en réduisant progressivement l'épaisseur de la bague
Si ces cales servent à régler des roulements, on peut se servir de bagues de roulements usagés, moyennant une détrempe du métal.
Vieux roulements servant de matière première
Les roulements sont réalisés dans des aciers fortement alliés, très durs. Il est presque impossible de les usiner directement. Pour y parvenir, il suffit de détremper le métal : chauffage au rouge, puis refroidissement lent. L'acier, bien qu'étant toujours très dur, s'usine alors facilement.
Détrempe d'une bague de roulement
Chauffer correctement n'est pas forcément évident : avec un flambard propane, on ne pourra pas chauffer d'un seul tenant toute la bague si celle-ci dépasse 2 ou 3 centimètres de diamètre. La meilleure solution est la forge à gaz. La gazinière n'a pas été testée.
Pour ne pas risquer d'attaquer les mors, la bague devra dépasser suffisamment. Il suffit de la placer en interposant des cales (flèches rouges) entre elle et le mandrin. Ainsi, à l'aide de l'outil à dresser, il sera possible d'amener la bague à l'épaisseur souhaitée. Un demi millimètre de marge devrait suffire. A la fin de cette opération, les faces ne peuvent pas être rigoureusement parallèles (compter jusqu'à 0.5 mm). C'est la surface usinée qui sera collée sur le plateau tournant (surface dressée).
Décalage d'une pièce dans le mandrin
Il existe des mandrins de tour spécialement conçus pour l'usinage de rondelles, et pour la rectification sur tour : mandrins magnétiques, mandrins "cryogéniques" (voir le site de la société AMCC.). Ces accessoires sont chers, et ne se justifient pas pour un usage occasionnel.
Il existe également des adhésifs spécialement conçus pour maintenir des pièces de faible épaisseur, non magnétiques, sur les plateaux de rectifieuses ou de tours, comme le double face 411 de 3M, trouvé à 94 € hors taxes le rouleau en largeur 50 mm. Les remarquables propriétés de la bonne vieille Super Glue permettent ici des économies plus que substantielles.
Les colles cyanoacrylates sont des colles anaérobies, c'est à dire qui polymérisent dès qu'elles sont privées du contact avec l'oxygène de l'air. La vitesse à laquelle on presse les pièces l'une sur l'autre est un paramètre important. En effet, la colle commence à durcir dès que que la rondelle entre entre en contact avec le plateau, supprimant ainsi le contact avec l'air. Ce faisant, elle crée un obstacle à l'évacuation des excès. Peu importe l'épaisseur de la couche (elle se mesure), mais il faut que, durcie, elle soit aussi uniforme que possible.
Un certain nombre d'essais de collage et de mesures a été effectué. Il en ressort que, contrairement à ce que l'on pourrait penser a priori, le pinceau n'est pas une solution idéale pour encoller la rondelle à usiner. En effet, passé trop lentement, il induit des amorces de polymérisation créant des irrégularités. Il vaut mieux une épaisse couche de colle restée liquide, qu'une couche fine, mais présentant ces défauts. Il est donc préférable d'étaler la colle avec l'applicateur, plutôt que de chercher à le faire au pinceau. Sinon, il doit être passé le plus rapidement possible, sans s'attarder, juste pour étaler, sans chercher à créer un film mince, et en évitant le contact entre ses poils et surface à encoller. Ce sont ces derniers qui ont tendance à créer ces amorces de polymérisation lorsqu'ils touchent le métal.
La mise en place du plateau sur le mandrin doit se faire avec le plus grand soin. En effet, la rondelle à usiner sera collée sous pression. Il faut donc éviter tout mouvement du plateau lors de ce collage. Le plateau est par conséquent lui aussi placé et serré sous pression. La commande de la contre pointe est actionnée de façon à pousser fermement le plateau, puis le mandrin est serré.
Une fois en place, le plateau est dressé de façon à disposer d'une surface propre (élimination des restes de colle des usinages précédents), et de façon à ce que sa surface soit parfaitement perpendiculaire à l'axe de rotation. Enfin, il est soigneusement nettoyé à l'acétone pour éliminer toute trace de corps gras. Il faut ensuite ne plus y toucher.
Mise en place du plateau
La rondelle à usiner sera positionnée sur le presseur, puis encollée, et enfin plaquée sous pression sur le plateau. La rondelle parfaitement nettoyée (acétone) est positionnée sur le presseur. Un corps gras comme de la vaseline, de la graisse ou même de l'huile est parfait pour cet usage.
Presseur et rondelle brute
Il faut éviter de graisser la face restée libre et devant être collée.
Mise en place de la rondelle brute sur le presseur
Naturellement, c'est une colle liquide qu'il faut utiliser, et non la forme "gel", de façon à obtenir une bonne répartition du produit lors du collage .
Encollage
Un guide, foret ou un fer rond, de même diamètre que les alésages du plateau et du presseur, est placé dans un mandrin sur la contre poupée. Le presseur avec la rondelle est ensuite enfilé dessus, jusqu'au mandrin. On dispose ainsi d'un axe de guidage pour transférer la rondelle du presseur vers le plateau.
Presseur en place
La contre poupée est ensuite approchée jusqu'à ce que la rondelle se trouve à deux ou trois millimètres du plateau.
Mise en place avant collage
En actionnant le volant de la contre poupée, le presseur et la rondelle sont fermement et rapidement appliqués sur le plateau. La polymérisation étant presque immédiate, une minute de maintien en pression est suffisante.
Mise en pression
La pression est relâchée, la rondelle reste collée sur le plateau.
La rondelle est transférée sur le plateau
Avant de commencer, il y a quelques réglages et vérifications à faire. La rondelle brute a été mesurée et repérée. La première chose à faire est de vérifier que le plateau n'a pas bougé pendant le transfert de la rondelle. Le toucheau du comparateur posé dessus permettra de le vérifier en faisant tourner le mandrin à la main : l'aiguille ne doit pas bouger. Dans le cas contraire, il faut repartir à zéro.
Avant d'usiner, pour une précision maximum, le chariot supérieur sera utilisé désaxé de 10 à 20°. Le chariot transversal sera également utilisé pour déplacer le comparateur et mesurer son épaisseur par rapport au plateau sur lequel elle est collée. Le traînard quant à lui est bloqué. Il faut s'arranger pour pouvoir passer de la position "usinage" à la position "mesure" par la seule action du chariot transversal.
Ensuite, quelques mesures d'épaisseur sont effectuées afin de déterminer celle de la couche de colle. Pour chaque repère, une mesure est prise. Le comparateur est solidarisé au chariot transversal, et déplacé par ce dernier. En comparant les épaisseurs avant collage à celles obtenues après, sur l'ensemble de la circonférence, on peut déterminer l'épaisseur moyenne et sa régularité. Si tout s'est bien passé, on obtient très peu de différences : de l'ordre de 0.005 à 0.01 mm. Les premiers essais donnaient 0.03 à 0.05 mm, ce qui reste acceptable si on vise une précision de l'ordre de 0.02 mm
Une fois l'épaisseur du collage déterminée, il suffira d'en tenir compte. Par exemple, pour un collage de 0.01 mm, et une rondelle de 2 mm, il faudra viser 2.01 mm entre plateau et rondelle. Des passes de finition de 10 µm, voire 5 µm assureront la précision.
(il faut reporter les repères sur le plateau,
car ils seront ensuite effacés lors de l'usinage)
La séparation des rondelles est assez facile : un jet en aluminium et un coup de marteau.
Les restes de colle peuvent être éliminés de diverses façons : acétone, chaleur, abrasif...
Décollage au jet aluminium et au marteau
Au besoin (rondelles fines), il peut être utile de chauffer. 300°C devraient suffire - surveiller la couleur que prend le métal.
Les vapeurs dégagées par la colle cyanoacrylate sont très irritantes.
On peut faire chauffer la colle
Rondelle prête à être utilisée
Les résultats obtenus sont excellents, donnant des rondelles nettement plus précises que celles d'origine.
Ci-dessous, deux rondelles de calage d'origine. Le défaut de parallélisme est de 0.020 mm pour celle de gauche, et de 0.030 mm pour celle de droite. Il faut cependant garder présent à l'esprit que les conditions de mesure ne sont pas parfaites : plan de mesure rectifié mais de précision inconnue, limite de mesurabilité du comparateur (demi graduation : 5 µm). Malgré tout, les mesures peuvent être répétées sans variation significative de la lecture.
2 rondelles d'origine Land Rover
Ci-dessous, les mesures effectuées sur deux rondelles cousues à la main. Les épaisseurs "visées" sont : 2.460 mm pour celle de gauche, 2.700 mm pour celle de droite. La première peut être considérée comme parfaite : 5 µm d'erreur sur le parallélisme des faces. Avant usinage, la couche de colle avait été évaluée entre 5 et 10 µm; on retrouve cet écart de 5 µm sur le parallélisme. Pour la deuxième, le travail a été conduit plus rapidement, en prenant un peu moins de précautions. En particulier, il y a deux différences notables. La couche de colle a été évaluée à 10 µm alors que sa mesure s'avérait non significative (quelques microns tout au plus, ce qui avait été considéré - à tort - irréaliste) ; il y a donc eu surcompensation. De plus, la rondelle a été décollée à la flamme. Ces deux détails permettent d'expliquer une surépaisseur moyenne de 0.010 mm, et les ondulations que l'on constate.
Mêmes remarques en ce qui concerne les limites de mesurabilité. Mais on constate immédiatement que le parallélisme des faces est meilleur que celui des rondelles d'origine : 0.01 mm contre 0.03 mm dans le pire des cas.
2 rondelles de fabrication "artisanale"
Cette technique n'est pas neuve puisqu'on en trouve la trace dans le compte rendu de l'Exposition Internationale de Paris de 1900, sous la forme de la présentation d'un mandrin électromagnétique destiné à l'usinage de rondelles de précision. Une colle tout à fait ordinaire permet de se passer d'accessoires hors de prix.
L'usinage de cales inférieures au millimètre n'a pas été tenté. Le seul problème qui risque de se poser est le décollage de la rondelle qui peut, du fait d'une trop faible épaisseur, se déformer facilement.
Ceci est à la portée du débutant : travail effectué sur un tour d'amateur acquis deux mois plus tôt par un néophyte autodidacte, et tout premier travail exécuté en cherchant le centième de millimètre. Mais la mise en oeuvre est longue.